Après les jachères (projet en cours)

Résidence à La Clairière - Art et nature


« L’essentiel ne se trouve ni dans le produit fini, le chef-d’œuvre, ni dans
le processus dont l’œuvre atteste le déploiement,
mais dans l’ampleur des trajectoires effectuées par une œuvre. »[1]

 

Comme les rideaux d’une scène s’ouvrant sur l’autre, le projet infiltrant Après les jachères propose une interprétation picturale et écrite de récits personnels, des lieux et des habitudes des citoyens de Chesterville à travers une série d’enseignes qui seront érigés à des endroits stratégiques du village.


Avec l’avènement d’un art contextuel, « plusieurs artistes tournant le dos à l’art pour l’art ou au principe d’autonomie, en appellent à la mise en valeur de la RÉALITÉ BRUTE. Pour ceux-là, héritiers du réalisme historique (d’un Courbet), l’art doit être relié aux choses de tous les jours, se produire dans l’instant, en relation étroite avec le « contexte ». »[2]


Voir la Joconde est aujourd’hui davantage un acte d'allégeance à la culture occidentale qu'une expérience esthétique[3]. Effectivement, il me semble que notre rapport à l’image est une construction culturelle.
Nous serons émerveillés devant des paysages-panorama[4] ou des paysages-sites puisque l’on nous a préalablement annoncé dans les guides touristiques et via des pancartes en bordure de l’autoroute des points de vue où il convient de s’émouvoir. Nous irons admirer les plus beaux paysages et prendrons notre propre photographie en sachant toutefois que plusieurs photographes professionnels y ont également pointé leur objectif et que de splendides images de ce lieu se trouvent déjà à l’intérieur de livres. Nous photographierons les œuvres mythiques dans les musées même si de nombreuses photographies de ces œuvres furent captées, et ce, de meilleure qualité. Nous nous rendrons à la Statue de la Liberté à New York et tenterons de la prendre en photo avec nos moindres moyens afin d’attester de notre présence même si nous pourrions avoir accès à de magnifiques photos de celle-ci sur des cartes postales. La culture populaire s’éloigne de plus en plus de ses propres ressentis esthétiques et tend vers ce qui consent à être beau.


Dans le cadre du projet de résidence réalisé à La Clairière, j’irai donc à la
rencontre des gens du village, observer leurs habitudes de vie et contempler les paysages et les lieux qu’ils côtoient et dans lesquels ils interagissent au quotidien. À travers cette démarche interdisciplinaire d’enquête qui réfère aux pratiques sociologiques, je glanerai des récits et
des photographies qui seront ensuite interprétées et mises en forme en images et en texte pour ultérieurement être disposées sur des enseignes grands formats montées sur des structures autoportantes qui seront déposées au sein des lieux teintées de ces réflexions.

La Jachère définit comme une « terre cultivable laissée au repos temporairement en ne lui faisant pas porter de récolte afin qu'elle produise ensuite abondamment »fait donc écho aux fondements du projet, qui vise à restituer le senti esthétique individuel des gens du villages qui ont moins de recul sur leur mode de vie et sur leur environnement. Si l’habitude évite de voir, si les fonctions utilitaires de nos espaces de vie nous empêchent d’admirer notre décor quotidien, s’il faut parfois partir pour mieux revenir ou s’il faut posséder le recul des néo-ruraux pour apprécier le charme idyllique de la campagne, il y a labour à faire.

 

Le terreau est mûr. La jachère est terminée.


 

[1]
Bourriaud, N. 1998. La mutuelle des
formes
, Art Press. Anatomie des cultures électrodiques, Hors série no 19.

[2]
Ardenne, P. 2002. L’art contextuel.
Paris, Flammarion, 250 p.


[3]
Archéologie du futur / Archéologie du quotidien, Yan Pei-Ming : les larmes de Mona Lisa au Louvre.
Source :http://archeologue.over-blog.com/article-27900321.html.
Consulté le 16 mai 2009.

[4] Paysages-panorama : donne à voir aux amateurs de contemplation ou aux touristes pressés.

Paysages-sites : incarnation de l’unique répertorié par les guides touristiques, les gens viennent de loin pour le voir.